La création du Centre de Formation répond à une forte demande de votre part pour vous aider à apprendre à distiller, créer votre distillerie ou votre marque de spiritueux.

Vous n’êtes pas les seuls à avoir cette idée, comme on peut le voir sur ces statistiques.

Voilà un an que le Centre est certifié QUALIOPI. L’accueil des stages et des formations depuis janvier 2020 (soit plus de 35 sessions entre 2020 & 2022 au total), et la rencontre avec des différents stagiaires, nous permet de vous partager certains éléments d’analyses.

La mixité de profils, de projets sont vraiment intéressant pour le milieux des spiritueux.

Voici un article sur mes raisons qui doivent vous éviter à créer une distillerie… c’est totalement subjectif, ces raisons doivent vous aider à réfléchir les fondements de votre projet.

• Quelques règles d’or
• Et des “contraintes d’or” :
• 1. vous êtes alcoolique
• 2. vous n'êtes pas héritier
• 3. vous êtes anarchistes
• 4. vous n'êtes jamais montés à la capitale
• 5. vous n'aimez pas le commerce
• 6. vous aimez l'environnement
• 7. vous aimez jouer avec le feu
• 8. vous êtes un homme blanc CSP+ de plus de 60 ans
• 9. vous pensez qu’avoir votre alambic est la seule solution pour avoir votre spiritueux
• 10. vous êtes quelqu’un qui veut tout, tout de suite

Quelques règles d’or

En septembre 2020, le magazine Barmag avait publié les 10 règles d’or pour monter sa distillerie.

Vous avez aussi cet article de juin 2022 de Whisky mag sur les 8 conseils d’Anthony Wills pour monter sa distillerie de whisky :

Je ne commenterai pas pour l’instant ces listes de règles d’or … il y a beaucoup à dire, à confirmer, à affirmer. Je vous ferez sûrement un article à ce sujet … ou une vidéo ;)

Vous avez aussi ici un article en anglais sur des idées à développer dans votre distillerie.

Et des “contraintes d’or” :

Dans ce milieu où il y a beaucoup de communication et de marketing, beaucoup d’argent et d’histoires qui se racontent, … tout ça accentué par des réseaux de communication où tout va plus vite, en superficialité, je voulais vous partager mon point de vue sur les raisons pour lesquelles vous ne devriez surtout pas monter une distillerie.

Ce sera sûrement décalé, à contre pied, et peut-être un peu provoquant, mais c’est bien aussi de lever le voile sur des idées reçus ou des choses dont on n’a pas (encore) pris conscience.

(il n’y a pas de priorisation dans ce classement)

1. vous êtes alcoolique

Comme disait Coluche :

Un alcoolique est quelqu’un qui boit autant que moi, mais que je n’aime pas !

Les spiritueux, comme les vins et la bière, contiennent de l’éthanol. L’éthanol rend ivre, et la dépendance à l’éthanol s’appelle l’alcoolisme. Si vous souhaitez durer dans le milieu, il faut savoir cela, et assumer de regarder votre consommation. L’accès à l’alcool est facilité en tant que producteur, du pied de ses alambics à des évènements (salons, dégustations chez les cavistes, …).

Avoir vos règles précises à ce sujet, sera un gage de prudence. J’ai eu des stagiaires qui voulaient créer leur distillerie pour avoir leur alcool pas cher pour leur alcoolisme … les discussions ont tourné court, je me suis permis de leur dire qu’ils devaient faire un choix : créer leur distillerie les obligerait à être totalement sobre.

2. vous n'êtes pas héritier

Lorsque l’on regarde le milieu des spiritueux, les autres distilleries et marques qui fonctionnent … on oublie souvent de regarder qui est derrière. Beaucoup d’alambics ont des dizaines d’années, voir sont centenaires. Les bâtiments sont financés depuis des lustres, et les vergers/vignes sont plantés depuis longtemps et sont productifs….

Les premières années de démarrage d’une entreprise sont toujours les plus risquées, on parle souvent des caps des 3, 5 et 7 ans à passer. La pression économique est forte, surtout si vous cherchez à tout financer pour être à la hauteur de maisons multigénérationnelles ou juste de distilleries montées il y a 10 ans.

On peut prendre exemple sur eux, mais il faut aussi pouvoir se comparer avec les moyens que l’on a … et le rappeler dés fois aux clients qui en attendrait plus de la part de jeunes entreprises.

3. vous êtes anarchistes

Nous avons la chance en tant que producteur d’alcool, d’être régis principalement non pas par le Code Rural ou Agricole, ni par le Code de l’Artisanat, ni par celui du Commerce et des Sociétés … mais bien par le Code Général des Impôts, avec en interlocuteurs principaux la DGDDI : les fameuses douanes.

Pour l’anecdote, l’un des anciens chefs du Bureau des Contributions Indirectes qui gère les alcools, s’appelait M. Cornu … La Cornue est le nom de l’alambic en verre de laboratoire).

Ils gèrent, surveillent, contrôlent en plus des spiritueux et alcools, l’armement, le tabacs, les drogues, le grand banditisme … Bienvenue !

Autant vous dire que si vous n’aimez pas l’Etat et le principe de la hiérarchie, des règles, des lois, des normes … ce sera compliqué pour vous. En formation, les formateurs et moi-même, nous sommes d’accords de dire que gérer une distillerie c’est 30 à 50 % de plus d’administratif que n’importe quel autre entreprise. Si vous n’aimez vraiment pas l’administratif, RDV au point 9.

Pour autant, je pense que c’est le milieu où je côtoie le plus d’anarchistes 😂 … Car si la production d’alcool est si bien contrôlée, c’est qu’elle est aussi probablement un outil de (contre)pouvoir, par exemple en utilisant l’eau de vie en monnaie.

4. vous n'êtes jamais montés à la capitale

Je ne sais pas comment fonctionne le secteur des spiritueux dans les autres pays, mais la France, vous le savez, est un pays extrêmement centralisé. Tout se passe à Paris, tout passe par Paris.

Non ! Car un village peuplé d'irréductibles Gaulois résiste encore et toujours à l'envahisseur.

comme on pourrait lire dans Astérix ;)

Si vous n’aimez pas Paris, ce sera compliqué de commercialiser et d’être vu, car on peut avoir l’impression que c’est le centre du Monde… Journalistes, cavistes, salons … bref, rien n’existe en dehors du périphérique. En tout cas, si vous connaissez un journaliste ou un caviste qui vient vous voir en province, bichonnez-le, c’est rare ;)

5. vous n'aimez pas le commerce

Là c’est le comptable qui parle … avec son banquier dans le dos 😉 ! En effet, vous pouvez être le meilleur producteur de spiritueux du monde, mais si vous ne vendez pas, vous ne tiendrez pas longtemps … et vous ferez soit des compromis sur la qualité de votre production, soit des choix qui vous paraîtront économiques mais qui vous coûteront cher ensuite.

L’argent est le nerf de la guerre, et notre liquide n’est pas reconnu comme monnaie … donc le commerce sera l’une de tes priorités… avec des choix à prendre : vendre du volume en rognant la marge, passer une journée à vendre sur un salon en prix public 6 bouteilles, par ex.

Le manque de trésorerie provoquera aussi des choix moins judicieux, genre acheter des matières premières à l’unité à un prix plus important que si elles avaient été acheté en volume. Pareil sur les investissements, on dit souvent qu’il faut être riche pour faire des achats lows costs…

6. vous aimez l'environnement

Le production de spiritueux consomme de l’énergie, et produit des déchets. Il faut environ 50 kg de propane (ou 600kwh environ) pour produire un hectolitre d’alcool pur soit 500 bouteilles de 50cl à 40% vol. Et environ 250 kwh pour produire le verre pour le même nombre de bouteilles ! Vu les semaines et les mois que nous venons de vivre et que nous allons vivre, il faut prendre conscience que tous nos actes de production ont un impact.

Sans compter le prix et la disponibilité du cuivre … le cours cuivre a doublé en 2.5 ans ! Le cuivre brut se négocie à 7500€ la T !

Un alambic roulant à bascule de 300 l coûtait 393 750 anciens francs en 1951 soit 10 060 € corrigé de l’inflation en 2021.

C’est notamment pour ces raisons que les alambics ont très souvent été mutualisés soit par l’investissement en sociétés coopératives agricoles, soit par le métier de bouilleur ambulant.

Répartir l’usage du matériel le plus longtemps durant l’année est à rechercher.

Concernant les labels et les modes de productions, il y a aussi des choix à faire … mais dans les spiritueux, dire que l’on ne peut pas faire de bio pour des raisons économiques, ce n’est pas autant valable que dans les autres productions alimentaires. Le coût de la matière première reste relativement faible sur le produit fini, et le surcoût de travailler des matières premières saines pour l’environnement est totalement intégrable dans votre prix de vente.

7. vous aimez jouer avec le feu

Là, cette raison va de soit… du feu utilisé pour distiller de l’éthanol… c’est quand même pas la meilleure idée du siècle 😅. Si vous êtes pyromanes, évitez de trop flamber !

Sinon, l’idée de ce point était aussi de rappeler tous les risques liés à la production de distillats : évidement le feu, mais aussi les risques d’odeurs (les vinasses qui pourrissent c’est infecte ! - les odeurs de rhum dans le quartier sans l’aval des voisins…), ou bien les Baudoinia Compniacensis ces champignons “mangeurs d’alcool” … A Cognac, un proverbe dit que

l’on reconnaît une riche maison à la noirceur de ces tuiles.

La vie est une maladie mortelle, être entrepreneur comporte forcément des risques, et l’Etat pour se protéger, protéger les populations, nous protéger aussi, a mis en place des règles et des cadres, notamment les ICPE, les ERP, l’HACCP et les démarches QHSE… nul n’est censé ignorer la loi, mais vraiment, attention aux conséquences de vos productions. Les accidents n’arrivent pas qu’aux autres.

8. vous êtes un homme blanc CSP+ de plus de 60 ans

Largement répandu dans le milieu (je parle de l’idée reçue pas de l’homme blanc de + de 60 ans ;) ), il y a l’idée que seul les hommes boivent. Elle est peut-être liée à cette scène des Tontons Flingueurs :

Tant qu’on est sur cette scène, il faut savoir qu’un mauvais alcool paraîtra toujours trop fort !

Mais surtout, non, il n’y a pas que les homme blanc CSP+ de plus de 60 ans qui ont boivent des spiritueux, qui en achètent, qui en produisent …

Comme je disais plus haut, le secteur se féminise, se rajeuni, se diversifie … il y a une place pour toutes les personnalités dans ce milieu. Il n’y a pas de genre dans les manières de vivre, de manger, de boire, dans les manières de produire, dans les spiritueux. Il n’existe pas de spiritueux pour les jeunes adultes et d’autres pour les jeunes depuis beaucoup plus longtemps.

A ce sujet, je vous propose la lecture de Maltriarcat, un livre d’Anaïs Lecoq qui y dessine un panorama saisissant et sans faux-col dans le monde de la bière en pleine effervescence, où le patriarcat a désormais la pression 😉.

Très instructif car même dans les détails, nous sommes vites rattrapés par une culture de domination et d’agression.

9. vous pensez qu’avoir votre alambic est la seule solution pour avoir votre spiritueux

Pour continuer sur l’idée qu’il y a de la place pour tous dans le milieu, il y a aussi différentes places à prendre … entre distiller, gérer une distillerie, vendre des spiritueux, les proposer en cocktails, les cuisiner, produire des fruits, créer des recettes, laver des alambics … ce n’est pas parce que l’on a apprécié un Gin le vendredi, qui faut s’imaginer que la seule voie possible est d’avoir sa distillerie et son alambic le lundi suivant… Des fois, la spécialisation des tâches, des compétences et savoirs faire, ce sont de bonnes choses.

Sachez qui vous êtes, ce que vous voulez vraiment … car rien n’est pire que de faire faillite et perdre des économies car vous n’aviez pas clairement définis ce qui était vraiment votre motivation première. Soyez aussi rassurés… je commence à connaître suffisamment de personnalités qui ont leur distillerie, que je pense aussi que c’est réalisable pour beaucoup d’entre nous.

Et il y a aussi moyen de produire des spiritueux pour votre consommation personnelle, avec vos récoltes, via une distillation auprès d’un distillateur ambulant ou d’un alambic communal dans un syndicat public (c’est possible de créer de nouveaux syndicats publics !).

10. vous êtes quelqu’un qui veut tout, tout de suite

Prenez-votre temps, … de toute manière votre alambic sera encore utilisé dans au moins 20 ans, votre bâtiment aussi, vos barriques feront du 10 ans d’âge, et les fruitiers produiront que dans 5 ans mini … donc, ça ne sert à rien de vouloir créer votre distillerie en 3 jours, et de vouloir vos spiritueux pour ce Noël … C’est possible oui, vous pourrez me démontrer le contraire, mais prendre son temps est le meilleur moyen de ne pas en perdre.

Mon passe-temps favori, c’est laisser passer le temps, avoir du temps, prendre son temps, perdre son temps, vivre à contretemps. Françoise Sagan

Le temps mène la vie dure à ceux qui veulent le tuer. Jacques Prévert

L’une des références dans le parcours de formation en artisanat, ce sont les Compagnons du Tour de France … après leurs formations initiales, ils se donnent entre 4 et 6 ans pour faire leur Tour de France et apprendre auprès de leurs pairs.

En deux jours, vous saurez distiller et faire des choses pas très mauvaises, en tout cas pas toxique ;) , mais de là à se dire distillateur, il vous faudra quelques années … et pleins d’échecs. Mais cela vous forcera à vous améliorer pour avoir de meilleures gnôles pour vous remonter le moral 🙂.

Cet article est totalement subjectif, à vous de me dire si vous pensez à d’autres éléments clés pour démarrer ou non une distillerie.

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Merci.

Baptiste FRANCOIS